du 12 juin au 24 juillet 2013
La ”photographie de rue”, malgré les guillemets qu’on lui accole, malgré le sobriquet pseudo-scientifique de Street-Photography, n’est pas un genre photographique. Elle désigne avant tout un lieu de prédilection que partagent des photographes aussi différents qu’Eugène Atget, Weegee, Diane Arbus ou Robert Doisneau. La rue sert de toile de fond à des scènes d’humeur, de rixes, de cauchemar ou de tranquillité que ceux qui savent voir vont chercher le plus souvent au fond d’eux-mêmes.
Marie Noëlle Taine a tenté de recomposer cette trame propice à des évènements en tous genres en ne s’intéressant qu’aux aléas de la lumière qui dépeignent un décor abstrait où les aplats de couleur se détachent de zones d’ombre qui les mettent en évidence. On a l’impression que l’harmonie qui unit la couleur du ciel et celle des murs de la ville est un épisode éphémère recueilli à l’instant infinitésimal du déclenchement de l’obturateur, et qu’avant ou après l’instantané, un autre ordre, celui du banal, investit la quotidienneté ainsi surprise par la photographie.
Si le paysage urbain est au centre de l’intérêt de l’entreprise photographique de Marie Noëlle Taine, une autre intention se dessine à travers les plans savamment élaborés de sa série. L’importance qu’elle accorde aux fuites en perspective des rails du tramway, du prolongement de murs d’enceintes ou des bandes jaunes de passages pour piétons accentue la profondeur de la vue : dans cet effet de relief sont suspendues les plages colorées des bâtiments sous la découpure du ciel.
Aux heures où Marie Noëlle Taine se promène dans la ville de Lyon, les rues sont presque désertes. Sa présence, pourtant, est visible dans plusieurs de ses images par son ombre portée, particulièrement dans les lieux où la photographie renforce la perspective. Ces autoportraits surajoutés soulignent sa vision subjective en rappelant qu’elle est au centre de ce qui lui advient au hasard des rues.
Dans cette ville où des foules circulent aux heures de pointe, quelques personnages seulement traversent le cadre de l’image – des passants qui sont à mille lieues de savoir qu’on les regarde. Mais bien que rare, leur présence graphique est considérable : ces personnes poursuivent leur trajectoire de gens affairés dans un espace urbain où les façades d’immeubles multiplient les lignes perpendiculaires. Or dans cet environnement orthonormé,
leur démarche accuse une stature penchée, une inclinaison du corps qui déstabilise la géométrie ambiante de la ville. Ce clinamen manifeste par un simple jeu graphique l’inaliénable liberté de l’individu au milieu de l’ordre social.
Aucun de ces passants n’est le personnage d’une action possible. Quand ils sont plusieurs, rarement plus que trois par photographie, ils portent le regard dans des directions différentes participant ainsi à leur insu à la tridimensionnalité de l’image. Pour Marie Noëlle Taine, la rue est le seul personnage de son désir de voir : elle construit son œuvre au gré d’une extrême sensibilité à la couleur qui lui permet de saisir la singularité dans le quotidien, et d’accéder, chemin faisant, aux limites de la représentation photographique.
Robert PUJADE