du 5 décembre 2017 au 16 janvier 2018
Vernissage en présence des artistes le mardi 5 décembre à 18h30
“Indépendamment de ce qui arrive ou n’arrive pas, c’est l’attente qui est magnifique.”
André Breton
Que se passe t’il quand rien ne se passe, quand le temps se suspend et le présent s’absente ?
La série prend le contre-pied de la fébrilité urbaine, caractérisée par l’agitation et l’intranquillité permanentes, en pointant ces moments particuliers où les corps se figent et les esprits s’évadent.
Elle montre ici des individus immobiles dans une expectative indéfinie, énigmatique et questionne cet état d’attente, contemplation sans rien faire, cet “hors du temps” qui est aujourd’hui menacé.
L’attente est un temps de suspension, de doute, mais c’est aussi le temps de la concentration et de la création.
A. Dauty
Photogénie de l’attente
Photographies d’Alain Dauty
Sous le titre « Territoires de l’attente », Alain Dauty collecte un ensemble d’endroits où des personnages semblent livrés à eux-mêmes dans ce qu’on appelle communément des temps morts. Le terme de « territoire », choisi par le photographe, marque bien qu’il s’agit de la conversion en espace d’une expérience humaine intime vécue dans la durée. Les scènes d’attente se produisent dans la rue, les halls de gare ou d’aéroport, au café ou dans un escalier, des lieux qui entourent une solitude individuelle ou collective. L’objectif de la photographie pétrifie ce temps incertain et variable qui parcourt l’intervalle dans lequel l’espoir, la crainte, l’ennui ou le vide s’emparent des hommes condamnés à la patience.
Dans chaque situation, le contraste des couleurs permet d’isoler d’un fond souvent sombre l’allure de ces gens abandonnés à eux-mêmes et la série photographique dresse alors une typologie du corps de l’attente. Les visages sont fermés, crispés, indifférents mais toujours détachés du monde extérieur. Le regard peut être plongé dans le vague ou tourné vers le ciel, les mains croisées, fourrées dans les poches, accrochées aux pages d’un journal ou agrippées à l’anse d’une valise. La stature corporelle connaît toutes les variations possibles : assise, debout, d’aplomb, dégingandée, couchée sur un banc, vautrée sur un fauteuil, pliée, affalée, arc-boutée, comme si l’inactivité imposait une apparence physique selon les vagues de léthargie, d’abattement, de lassitude, de prostration ou de sidération ressenties par les patients.
L’instantané photographique, en retranchant une strate de cette durée parfois interminable, permet de dramatiser ce temps de latence. Les plans larges d’Alain Dauty créent des atmosphères propices à l’évocation d’histoires de vie. Un homme seul, retenant sa tête dans ses mains, est assis dans une gare, près d’un distributeur automatique de boisson, et l’on dirait qu’il fond en larmes. Un autre, installé dans un Lavomatic, fixe le hublot de sa machine à laver derrière lequel l’entrelacs du linge dessine, à l’instant précis de la pose, une forme de Madone, comme si cette apparition maternelle fugitive répétait une angoisse d’enfance telle que décrite par Freud dans l’expérience du fort-da. On peut être très malheureux dans l’attente de quelque chose ou de quelqu’un.
Alain Dauty retrouve sans doute dans ses personnages des attitudes qui sont les siennes. L’attente, en effet, n’est pas seulement une disposition nécessaire à la pratique photographique, mais une conduite que les grands photographes cultivent à la manière d’une vertu.
Robert Pujade