Secret agents I met and liked
du 3 décembre 2019 au 10 janvier 2020
Vernissage en présence de l’artiste mardi 3 décembreà 18h30
Café photo en présence de l’artiste jeudi 5 décembre à 12h 45
” Il y a de cela fort longtemps, une amie très chère m’a offert un carnet vierge, de couleur orange vif. En première de couverture, un titre inscrit en petites capitales sans empattement : SECRET AGENTS I MET AND LIKED.”
“L’éclat orangé a refait surface il y a peu, à un moment où je désespérais de réussir à relever le défi de monter une exposition à la Galerie Domus avec mes images. Juste mes images…
Je me plonge alors dans mes archives (un grand mot pour un volume modeste). A l’instar de mon mentor Marc Riboud, j’aime cueillir les images au hasard d’une déambulation. La prise de vue constitue une matière première pour mon travail, pas une finalité. Je me plais à exploiter des photographies, à les travailler ou à leur tordre le cou, parfois plusieurs années après la prise de vue.
En feuilletant les planches-contact, je me remémore les rencontres : il y a beaucoup de portraits, conventionnels ou non. Je pourrais les sortir de leur drôle de mausolée et leur proposer une nouvelle demeure. Et puis je veux m’amuser, me faire plaisir avec ce projet : faire un pas de côté, tenter de nouvelles techniques de tirage artisanal, imaginer de nouvelles associations image-support.
Tirages argentiques classiques ? Oui et non. Il m’arrive régulièrement de revisiter mes images, de les transformer en petits poèmes surréalistes par superposition de plusieurs négatifs. L’univers proposé pour SECRET AGENTS I MET AND LIKED se veut déroutant. Une photographie de reportage à la frontière serbo-hongroise au cours de l’été 2015 pourra côtoyer une interprétation toute personnelle de « En attendant Godot » de Beckett…”
Antoine Ligier
Madame Arthur – Paris 2012
Théorie des Inclassables
La sélection de photographies qu’Antoine Ligier propose pour la série MOSAICA,
Secret agents I met and liked, mériterait assez bien le terme de « théorie » si l’on prête à ce mot son acception de cortège ou de défilé. Elle déploie, en effet, une succession de visages ou d’esquisses humaines, pas exactement des portraits, mais plutôt le reflet de la multiplicité des regards que le photographe porte sur les vivants et les choses. à chaque individualité de cette procession, appréciée au hasard de rencontres à travers le monde, correspond le sobriquet d’agents secrets,
c’est-à-dire d’acteurs involontaires d’un projet photographique
savamment conduit dans la réalisation d’un spectacle insolite.
En 2012, Antoine est à Paris. Il croise dans le métro un accordéoniste dont le large sourire laisse paraître le clavier d’une denture parée de deux incisives étincelantes, comme deux miroirs renvoyant une image – peut-être celle de l’auteur de la prise de vue. La même année, dans la même ville, installé dans la loge d’une Madame Arthur épuisée par ses apparitions au Divan du Monde, il saisit les étapes d’un maquillage outrancier qui accentue par des couleurs criantes l’alanguissement des traits du comédien. Cette année-là encore, il entreprend la série des Exténués dédiée aux personnes qui s’échinent au travail : des portraits réalisés en studio, selon un protocole rigoureux. Chaque acteur, homme ou femme, porte le même costume, la même chemise, la même cravate. Une même lumière éclaire les visages et les remodèle, accusant la lividité de la peau, les ombres et les rides, l’hébétude des regards. Dans chacune de ces scènes, on peut se demander quelle est la part de réalité et celle de la fiction liée au traitement photographique.
Lorsqu’Antoine choisit ses portraits de reportage, il nous intime un semblable vertige provenu d’un rêve plaqué sur la réalité. C’est le migrant Syrien à la frontière entre la Hongrie et la Serbie qui n’a que son sourire pour conquérir l’Europe. C’est en 2015, le Bosniaque éborgné par un éclat d’obus qui, par ce clin d’œil involontaire, fait signe en direction des tentatives de rapprochement de la Bosnie-Herzégovine vers l’Union Européenne. C’est l’Uruguayenne au béret basque dont la nudité se cache à peine sous une mantille et une chevelure démesurément longue.
Et le voilà en Inde, la tête en l’air, face à deux lunes : le contrejour de leur lumière donne une allure de Titan de bronze à l’ouvrier qui travaille sur un toit. Et puis en France à nouveau, ce corps nu d’une femme aux proportions canoniques, à la peau satinée invitant au toucher, au cou sans visage qui révèle son identité de mannequin. Pour ces effigies inclassables parmi les genres du portrait ou du reportage le tirage encadré est insuffisant. Le travail d’Antoine Ligier sur le support de ses images est original à bien des égards : mosaïque d’azulejos pour le portrait d’Itu, le petit indien,
composée par des tirages cyanotype sur 54 carreaux de céramique, chape de béton pour les deux sœurs uruguayennes, toile sur bois pour Les Gladiateurs – portrait de deux masques
de soudage qui se regardent en chiens de faïence.
Ces dispositifs lourds sont l’assise de ses rêves, en fait, de sa connaissance photographique du monde.
Robert Pujade