du 4 juin au 26 juillet 2019
Vernissage en présence de l’artiste mardi 4 juin à 18h30
Géographique, physique, humaine, parfois hachée de grands pans d’ombres où se cognent des éclats de lumière, subtile toujours : voici une Europe à travers les villes dans lesquelles Laure Abouaf s’immerge au fil des années, mue par une perception intime des couleurs. Lyon, Beograd, Bratislava, Sarajevo, Budapest, Timisoara, Bucaresti, Ljubljana, Lisboa… Presque en secret, elle nous embarque, et dans un voyage tout intérieur nous suivons ses pas.
” Les signes qui permettraient d’identifier les villes d’Europe traversées par Laure Abouaf sont très rares et équivoques sitôt qu’on pense les avoir dénichés. Le nom de ces localités n’est pas indiqué sous la forme d’une légende qui nous obligerait à rechercher dans nos souvenirs de voyage ce que, de toutes façons, nous ne retrouverions pas à l’intérieur du cadre photographique. En effet, à l’opposé de la carte postale ou du reportage touristique, la série exclut de son champ de visée la couleur locale, le détail typique, la note exotique, le cadre pittoresque ou l’ambiance folklorique. Pour autant, l’absence des procédés usuels de mise en valeur de ces scènes urbaines et leur anonymat lui-même, ne les rendent pas énigmatiques. Ces lieux photographiques sont, d’une certaine façon, des lieux communs en ce sens qu’ils apparaissent similaires – et non pas semblables – à d’autres que nous rencontrons dans la vie ordinaire. Cette similarité cultivée signifie qu’ils appartiennent moins à un espace géographique précis qu’au regard de la photographe. […]
Les photographies de Laure Abouaf, bien qu’elles différent du genre du paysage urbain, et même de la photographie de rue dont l’une des caractéristiques est la présence humaine, restent fortement liées cependant à l’espace urbain qu’elles explorent de façon inaccoutumée. Elles proposent des hiérarchies visuelles qui ne correspondent pas à celles que construisent, de façon constante et triviale,
nos perceptions de la réalité. On pourrait expliquer cette différence une fois pour toutes par l’argument paresseux qui consiste à opposer la vision de l’artiste au simple phénomène de la vue, quand l’une et l’autre s’appliquent à des sujets identiques. […]
… l’espace photographique qu’elle dévoile met en question la notion même de l’espace. Nous savons que cette dernière notion a une histoire et que la perception que l’homme a du monde a considérablement varié au cours des siècles : le monde clos du Moyen-âge, découpé en espaces sacrés et profanes, diffère profondément du monde rationalisé des Lumières qui découvre un espace infini. Nul doute que, dans cette histoire, la photographie a modifié sensiblement la notion commune que nous avons de l’espace, entendu comme le milieu dans lequel se situe l’ensemble de nos perceptions.
Ainsi, en regardant ce que nous ne voyons pas, Laure Abouaf opère des coupes dans notre espace quotidien, produit des prises de vue qui, à leur manière, relèvent d’une sourde sacralisation.”
Robert Pujade