Archives de l’auteur : Alex Pillot

Claudine Doury – Sasha

Du 7 avril au 2 mai 2015

GALERIE BU

Bibliothèque Universitaire
Domaine Scientifique de la Doua

©Claudine Doury/Agence VU'/La Galerie Particulière

©Claudine Doury/Agence VU’/La Galerie Particulière

Sacha, qui fut petite fille, a grandi. Sacha devient une jeune fille et se cherche aussi bien dans le miroir que dans le territoire qui fut celui, originel, de sa mère. Un territoire de forêt, de magie et d’images donc, de ces territoires dans lesquels on peut inventer contes et illusions, croiser des elfes et recouvrir de boue son corps qui change, qui devient un instant statue éphémère et sort ensuite de sa gangue. Un monde aquatique aussi, comme pour une renaissance dont la pureté se parera de robes blanches pour fêtes de contes de fées d’un autre âge. On pourra marcher sur les eaux, en avoir l’illusion au moins, comme l’on rêvait, plus jeune, de voler. On pourra ressortir de l’eau, en compagnie de la copine, l’amie, le double, coiffées d’algues vertes, devenues le temps d’une baignade des personnages sans identité dans une nature intouchée. Il y aura la tentation d’Ophélie quand l’eau, parfaitement étale, en miroir, laissera apparaître le seul visage et une certaine gravité. Comme souvent, on sentira que tout se passe à l’intérieur, qu’il s’agit d’indicible. On pourra jouer, à la limite du cauchemar qui  guette tous les rêves, s’enterrer à moitié dans le grand champ d’herbe, puis redevenir une autre et s’attarder, sérieuse, à contempler les limaces qui ne font pas vraiment la course. On pourra détenir le renard mais on s’enfuira dans un grand envol de poussière blanche, de bribes de temps. Puis, un jour, on coupera la tresse blonde et on la conservera comme la photographie conserve dans le miroir l’image du visage. Son visage ? Un autre visage ? Temps de doute.

Christian Caujolle

Claudine Doury – Artek

Du 16 mars au 24 avril 2015

8h-20h du lundi au vendredi, 9h-12h le samedi

Mercredi 8 avril à 14h30, conférence L’adolescence dans l’histoire de la photographie par Robert Pujade, enseignant-chercheur, Esthétique et Sciences de l’Art

Ecole Nationale Supérieure des Sciences de l’information et des Bibliothèques – enssib
17-21 bd du 11 novembre 1918 – 69100 Villeurbanne

©Claudine Doury/Agence VU'/La Galerie Particulière

©Claudine Doury/Agence VU’/La Galerie Particulière

C’est une fiction qui dure depuis trois quarts de siècle, à la fois grandiose et dérisoire, sublime et cauchemardes­que, et qui invente, par-delà l’histoire, son propre temps, ses propres règles, ses rites et ses rêves. Un lieu parfait, donc, pour que s’exprime l’intensité des émotions adolescentes des jeunes gens et des jeunes filles auxquels Artek est dévolu…

C’est là que tout a commencé en 1925, avec la création de la République des Pionniers. À la fragilité des tentes du dé­but ont succédé des constructions en dur, des installations confortables, de cantines en dortoirs, de gymnases en belles salles de spectacle. Aux milliers d’enfants méritants ont succédé les rejetons de la nouvelle classe dirigeante, celle de l’argent roi et des enrichisse­ments contestables. Mais Artek reste un îlot hors du temps où une forme singulière de «communisme libéral» s’est mise en place, où l’on achète à prix fort un bonheur factice pour des enfants qui, le temps d’un été, pourront vivre à la fois hors du temps réel et se plonger dans un passé qu’ils n’ont pas connu et qui projetait pour eux un monde idéal. Artek installe des adoles­cents dans un espace, dans un temps et dans des fonctionnements qui les détachent du réel, ils s’y échappent de la contingence pour laisser s’exprimer leurs doutes, leur identité, leurs contra­dictions et leurs désirs.

Christian Caujolle

Extrait de la préface du livre
Artek, un été en Crimée,
Éditions de la Martinière, 2004

Claudine Doury – Loulan Beauty

Du 16 mars au 24 avril 2015

Galerie DOMUS
Rencontre avec l’artiste le mercredi 8 avril à 12h45

©Claudine Doury/Agence VU'/La Galerie Particulière

©Claudine Doury/Agence VU’/La Galerie Particulière

Le projet Loulan Beauty de Claudine Doury prolonge l’approche documentaire qu’elle a menée dans l’ancienne Union Soviétique, particulièrement en Sibérie et en Ukraine. Le nom d’emprunt de cette série photographique fait tout d’abord référence à un ancien royaume situé aux confins de l’Asie Centrale et de la Chine, dans l’actuelle province de Xinjiang, mais aussi au surnom donné à l’une des quelques deux cents momies découvertes en parfait état de conservation dans cette région à la fin du 20ème siècle.

Loulan Beauty est une femme aux cheveux longs, aux pommettes saillantes et au nez proéminent, ce qui ne lui confère pas les caractéristiques physiques du type chinois et, pour ces raisons elle est l’innocente responsable de disputes contemporaines, historico-politiques, destinées à répondre à la question : quels furent les premiers habitants de ces contrées inhospitalières de la Chine de l’Ouest ?

Plus de quatre mille années séparent le reportage photographique de cette découverte archéologique et le titre choisi par Claudine Doury est un repère temporel qui mesure l’étendue de son observation : dans une visée diachronique, la photographe part à la recherche des ethnies multiples qui se sont succédées au cours des millénaires et qui ont laissé leur empreinte dans la culture d’aujourd’hui.

Loulan Beauty représente aussi le symbole qui illustre la démarche documentaire de Claudine Doury, et de son point de vue féminin dans le reportage qui se remarque sur le plan méthodologique, tout d’abord : la photographe ne se contente pas d’une simple visite auprès des habitants du Kazakhstan ou de l’Ouzbékistan, elle partage la vie quotidienne des communautés féminines qu’elle fréquente sur le long terme. Les prises de vue sont l’aboutissement d’un apprentissage sur le terrain des modes de vie et du travail des personnes qu’elle côtoie. Sur le plan des sujets photographiés, on remarque une attention particulière portée à la condition féminine : on peut voir, en effet, de jeunes femmes appliquées à la confection de vêtements poursuivant des usages ancestraux. Et, dans le fil narratif de son parcours, des portraits de petites filles en tenue d’écolière ou d’adolescentes pensives sont pris de manière frontale et constituent des moments de recueillement ou de réflexion dans l’histoire de la condition féminine.

La forme narrative de cette approche documentaire tient aussi au fait que le passé semble toujours persistant dans le présent photographié. On remarque les effets miroirs produits par des images dans l’image : La Famille de Silkhon, par exemple, représente un mur recouvert de photographies de différentes époques, ou la petite Madina qui pose en un plan rapproché tenant dans ses mains un portrait de sa mère. Mais pour Claudine Doury, les couleurs et la lumière qu’elle recueille de façon très personnalisée permettent une retranscription poétique de la vie qui semble défier le temps : couleurs parfois crayeuses comme dans certaines vues en technicolor d’autrefois ou fortement contrastées quand dans une même photo le registre pastel s’allie aux tonalités les plus vives.

Dans Loulan Beauty la photographie accompagne bien un périple géographique – le voyage qu’effectue la photographe en Asie Centrale – mais elle se lance à travers tous les moyens qui lui sont propres dans une traversée du temps. Les paysages qui jalonnent cette série ne sont pas seulement le décor contextuel des histoires de vies mais des espaces en mutations, comme la mer d’Aral devenue désertique ou ces minarets qui surplombent le déluge de sable écoulé dans ces terres depuis des siècles.

Le projet photographique de Claudine Doury intervient lui-même dans une période de transformation liée à la chute de l’Empire soviétique qui favorise les retours à la tradition. Ces changements politiques récents inspirent à la photographe une géo-poétique, un conte d’images où les souvenirs archaïques affleurent au présent pour construire le rêve d’un avenir incertain.

Robert Pujade

 

Chris Fernie – Lumi-naissance

Du 22 janvier 2015 au 6 mars 2015
Vernissage le Jeudi 22 janvier à 18H30

CFerniea6 600

©C Fernie

 

Il y a des jours dans la nuit…

Il suffit d’un rien, d’une matière sombre, pour re-trouver les choses inachevées, l’impossible visibilité, les non-dits, les secrets, les mots qui se cachent derrière les mots, l’image dans l’image, l’écume des pages, les choses souterraines.

Il suffit d’un rien pour ouvrir le monde à un regard…

Les silences de l’imagerie sont aussi signifiants que leurs constructions. Re-venir sur mes pas, refaire le chemin déjà parcouru jusqu’à en perdre le souvenir. L’image dans l’image me trouble, la vie dans la vie m’interpelle. Un je ne sais quoi, un presque rien me touche…

– Chris Fernie*

Métamorphoses urbaines

Le temps est loin, aujourd’hui, où l’on interrogeait les œuvres de photographe à partir de leurs sujets de représentation pour les classer, à partir de cet inventaire dans un genre. A ne s’en tenir qu’à leur sujet, les images de Chris Fernie relèveraient de la Street photography et selon cette classification impossible à démentir, nous serions privés d’une intention tout autre que laisse transparaître le régime de visibilité de ses œuvres.

Plus que la rue et les événements humains qui s’y déroulent, les lumières et les ombres offrent à ce regard photographique des découpages graphiques et des espaces multiples destinés à l’éclosion de la couleur. C’est la nuit, tout particulièrement, que Chris Fernie trouve « sa » couleur, quand les éclairages urbains reflètent brillamment sur l’asphalte humide une dorure sombre qui dégage une atmosphère inquiétante. Il suffit alors que le cadrage porte sur un détail – une mallette tenue en main par un inconnu dont on ne discerne que le pas – pour qu’on se prenne à imaginer une histoire sombre de rançon, de trafic de faux billets, de malversations secrètes ou frauduleuses.

L’inquiétude se nourrit des couleurs bleuâtres d’un passage de gare routière où l’homme qui marche, vu à contrejour, semble s’acheminer vers un destin funeste ; des reflets rougeâtres provoqués par l’embrasure d’une porte ouverte confèrent à une bouche d’égout l’allure d’un objet non identifié. Par le cloisonnement des couleurs nocturnes, Chris Fernie dégage une impression d’étrangeté qui s’apparente à ce que Pierre Mac Orlan appelait le « fantastique social » quand il commentait les photographies d’Atget. Mais la même approche coloriste produit parfois un effet inverse comme cette ombre portée d’un feu tricolore sur un mur qui dessine la silhouette de trois pieds nickelés rigolant au spectacle du petit bonhomme rouge luminescent chargé d’arrêter le passage des piétons.

Au-delà de ces connotations multiples, le choix de la couleur est aussi dans cette œuvre l’occasion de développer une série de tableaux abstraits créés par la nuit. Les reflets des vitrines, les lettrages des commerces, les accumulations de chaises dans des bars fermés et tant d’autres détails surpris au hasard de la promenade photographique, multiplient les bigarrures dans une vision kaléidoscopique. Certaines vues se situent aussi à la limite du monochrome quand la prégnance de la couleur est telle qu’elle affadit le contour des vivants et des choses. Ce sens de la couleur se retrouve aussi dans les photographies en noir et blanc où l’ombre maîtresse est le prétexte à jouer une variation de nuances sur une gamme qui va du noir profond au gris le plus clair.

La rue est donc le territoire où Chris Fernie s’aventure pour dénicher, dans les lueurs que tolère la nuit ou le contrejour, la matière de ses rêves. En s’appropriant la définition de la lumière dans une visibilité qu’il recrée sans cesse, ses photographies ressuscitent le pouvoir de la couleur.

Robert PUJADE