Du 22 janvier 2015 au 6 mars 2015
Vernissage le Jeudi 22 janvier à 18H30
Il y a des jours dans la nuit…
Il suffit d’un rien, d’une matière sombre, pour re-trouver les choses inachevées, l’impossible visibilité, les non-dits, les secrets, les mots qui se cachent derrière les mots, l’image dans l’image, l’écume des pages, les choses souterraines.
Il suffit d’un rien pour ouvrir le monde à un regard…
Les silences de l’imagerie sont aussi signifiants que leurs constructions. Re-venir sur mes pas, refaire le chemin déjà parcouru jusqu’à en perdre le souvenir. L’image dans l’image me trouble, la vie dans la vie m’interpelle. Un je ne sais quoi, un presque rien me touche…
– Chris Fernie*
Métamorphoses urbaines
Le temps est loin, aujourd’hui, où l’on interrogeait les œuvres de photographe à partir de leurs sujets de représentation pour les classer, à partir de cet inventaire dans un genre. A ne s’en tenir qu’à leur sujet, les images de Chris Fernie relèveraient de la Street photography et selon cette classification impossible à démentir, nous serions privés d’une intention tout autre que laisse transparaître le régime de visibilité de ses œuvres.
Plus que la rue et les événements humains qui s’y déroulent, les lumières et les ombres offrent à ce regard photographique des découpages graphiques et des espaces multiples destinés à l’éclosion de la couleur. C’est la nuit, tout particulièrement, que Chris Fernie trouve « sa » couleur, quand les éclairages urbains reflètent brillamment sur l’asphalte humide une dorure sombre qui dégage une atmosphère inquiétante. Il suffit alors que le cadrage porte sur un détail – une mallette tenue en main par un inconnu dont on ne discerne que le pas – pour qu’on se prenne à imaginer une histoire sombre de rançon, de trafic de faux billets, de malversations secrètes ou frauduleuses.
L’inquiétude se nourrit des couleurs bleuâtres d’un passage de gare routière où l’homme qui marche, vu à contrejour, semble s’acheminer vers un destin funeste ; des reflets rougeâtres provoqués par l’embrasure d’une porte ouverte confèrent à une bouche d’égout l’allure d’un objet non identifié. Par le cloisonnement des couleurs nocturnes, Chris Fernie dégage une impression d’étrangeté qui s’apparente à ce que Pierre Mac Orlan appelait le « fantastique social » quand il commentait les photographies d’Atget. Mais la même approche coloriste produit parfois un effet inverse comme cette ombre portée d’un feu tricolore sur un mur qui dessine la silhouette de trois pieds nickelés rigolant au spectacle du petit bonhomme rouge luminescent chargé d’arrêter le passage des piétons.
Au-delà de ces connotations multiples, le choix de la couleur est aussi dans cette œuvre l’occasion de développer une série de tableaux abstraits créés par la nuit. Les reflets des vitrines, les lettrages des commerces, les accumulations de chaises dans des bars fermés et tant d’autres détails surpris au hasard de la promenade photographique, multiplient les bigarrures dans une vision kaléidoscopique. Certaines vues se situent aussi à la limite du monochrome quand la prégnance de la couleur est telle qu’elle affadit le contour des vivants et des choses. Ce sens de la couleur se retrouve aussi dans les photographies en noir et blanc où l’ombre maîtresse est le prétexte à jouer une variation de nuances sur une gamme qui va du noir profond au gris le plus clair.
La rue est donc le territoire où Chris Fernie s’aventure pour dénicher, dans les lueurs que tolère la nuit ou le contrejour, la matière de ses rêves. En s’appropriant la définition de la lumière dans une visibilité qu’il recrée sans cesse, ses photographies ressuscitent le pouvoir de la couleur.
Robert PUJADE