Pascal MICHALON – Campus [hors saison]

du 15 mars au 22 avril 2016

Vernissage le jeudi 17 mars 2016, en présence de l’artiste

” Souvent j’ai eu le sentiment de ne photographier que des décors de cinéma en attente du retour des acteurs. Est-ce dû à mon admiration pour ceux qu’Alexandre Trauner
a réalisés avec talent que je photographie ces paysages vides ? […]
Il me semble cependant que c’est dans ces instants dénués de nécessité que les lieux,
dans leur paisible vacuité, s’offrent à nous et laissent plus volontiers transparaître
leurs fonctionnements intimes…”

Pascal Michalon

 

Les focalises de Pascal Michalon

Le silence est un sujet de prédilection dans la photographie de Pascal Michalon. Ce qui le pousse à hanter les banlieues le dimanche ou les plages du Sud en hiver est cette même puissance d’attraction qu’exerce sur lui le brusque fading des endroits fréquentés. Sa visite photographique au Campus de la Doua, son lieu de travail quotidien, s’est effectuée suivant cette même intention, pendant les jours non ouvrables de l’été, aux heures où la vie semble s’être arrêtée. Seul, sans conversation possible avec quiconque, sans la gêne des déambulations des piétons et du trafic, il engage un dialogue par l’image avec cet endroit familier déserté.

A ne s’en tenir qu’aux points de vue d’ensemble, le Campus se présente comme un spécimen singulier de ce phénomène historique et social du « camp » : l’objectif peut se centrer n’importe où, il n’est de circonférence nulle part. Les vues d’ensemble portent la marque obsessionnelle de l’enfermement qu’on retrouve dans les lieux de détention ou de santé publique et l’absence d’un horizon unique laisse la place à une pluralité de limes délimitant des territoires aux superficies variables qui, pourtant, se ressemblent tous. A cela se rajoute une tendance générale à la monochromie, en dépit de quelques irruptions de verdure, variant entre gris et beige, et sur le plan graphique une domination des parallèles et des perpendiculaires qui affectent aussi bien le bâti que les lieux de déambulation. Tel est le cadre inamovible à l’intérieur duquel Pascal Michalon a réalisé sa série.

On peut admirer chacune de ces photographies sans faire référence à la réalité qu’elles illustrent…

… car les compositions chromatiques et graphiques du photographe produisent une multiplicité de tableaux anonymes qui ne renvoient qu’à sa propre vision. La restitution de cette vision personnelle s’accomplit tout d’abord par l’usage d’un format carré qui rassemble en une contiguïté choisie les éléments épars qu’il juge opportun de rapprocher. Le bleu délavé et délabré d’une place de parking pour handicapés apporte ainsi une lumière suave à l’alignement austère d’une enfilade de fenêtres closes par des stores grisâtres. Dans les recoins éloignés des allées principales, Pascal Michalon porte une attention singulière à des assemblages de matériaux dont les couleurs acquièrent dans son cadre une harmonie insoupçonnée. Un appentis bancal, appuyé sur trois au quatre parpaings, devient une pièce d’art abstrait grâce au bleu ardoise d’une façade qui le cache à la vue des passants. La porte jaune bordée de PVC blanc, le gris étain de son mur de placo et des carrés diversement découpés rutilent comme dans une peinture de Malevitch.

Par ses cadrages, Pascal Michalon ne se réapproprie pas seulement les lieux qu’il explore, il les métamorphose en prêtant, par exemple, l’allure d’une isba à une salle polyvalente aux toits en pente vert de gris. Au détour d’une allée, un petit édicule, sorte de vespasienne réformée en abri de générateur électrique, revêt la forme d’un temple aztèque par le biais d’une légère contreplongée et d’une focalisation sur le sujet isolé au milieu des massifs de béton. La focalisation est la posture magique du photographe, celle qui lui permet de se situer au centre de ce que personne ne regarde et de sublimer des visibilités qui laissent tout le monde indifférent. Ce geste créateur, répété de façon virtuose dans son œuvre, mériterait qu’on invente pour lui seul le nom commun de « focalise » ─ qui n’existe pas ─ pour désigner la modulation qu’il impose aux apparences du monde.

Cette stratégie poétique s’étend à chaque détail pris sur le campus à la manière de relevés purement esthétiques. Les blocs de bâtiments en béton sont saisis dans le contraste entre les structures massives des murs et l’aération des grilles de soutènement. Les quinconces des rampes d’accessibilité se profilent en labyrinthes. Les multitudes de fenêtres en façade, entre lesquelles l’objectif discerne malgré tout des couleurs, se superposent à la manière de diagrammes qui font irrésistiblement penser à la peinture de Mondrian.

Jouant avec les perspectives architecturales, Pascal Michalon sait créer les lignes de force qui propulsent le regard au-delà du réel. Posté à distance d’un abri pour deux roues, au toit composé par deux tôles de bardage en V, l’image se tient en arrêt face à un ptérosaure de Jurassic Park prêt à l’envol. Il déréalise l’univers terne et maussade des lieux avec des plans presque entièrement consacrés aux tonalités rose balais ou rose fandango du béton asphaltique qui recouvre des pistes. Les perspectives fonctionnelles sont déviées de leur finalité administrative pour découvrir le beau désordre clair d’un rêve en images. Des poteaux de toute sorte, des panneaux signalétiques s’interposent en gros plans au milieu des aires de circulation ; certains sont penchés, d’autres renversés, et le campus ressemble alors à ce musée en plein air des motels désaffectés de Las Vegas.

L’expédition photographique de Pascal Michalon est un périple à la rencontre de lui-même qui révèle son univers familier comme un monde méconnu de tous. Ce monde, tout intérieur, qu’il ne pouvait découvrir que dans la solitude, c’est le sien. Aussi, inclut-il dans sa série une signature quand il réalise un quasi monochrome en photographiant un terrain de football, son appareil étant posé juste derrière l’emplacement des corners, matérialisé par un arc de cercle tracé à la chaux ; les lignes blanches circonscrivent tout un espace de couleur en même temps qu’elles réifient l’angle de sa prise de vue.

Robert PUJADE

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