Dominique WILDERMANN – AnnA

du 22 janvier 2018 au 25 février 2019

Vernissage en présence de l’artiste mardi 22 janvierà 18h30 

” J’ai souvent déménagé, changé de paysages, de cultures.

Pour compenser une sensation de déracinement, je me suis attachée à des objets, à première vue insignifiants, glanés au fur et à mesure de mes différents emménagements. Je les traine pour certains depuis plus de 20 ans, tels des reliques. Impossible de me résoudre à les jeter malgré l’encombrement : ils sont devenus mes repères, ils ont chacun une histoire réelle ou fantasmée à laquelle je m’accroche. Ils représentent une époque révolue, le temps qui passe irrémédiablement. Mes idées de séries photographiques sont le plus souvent déclenchées par un de ces objets ou par l’atmosphère du nouveau lieu dans lequel je pose mes valises. La série « Anna » n’a pas échappé à cette règle.

Je déménage seule dans un nouvel appartement. Un nouveau lieu pour moi et mes névroses. Malgré le vide j’ai la sensation d’une présence palpable : murs marqués par les anciens accrochages, odeur de tabac encore présente, aucun meuble à part une vieille méridienne avec les traces laissées par ses anciens propriétaires…

Pendant l’emménagement je trouve un bout de papier plié et resté coincé entre deux lattes de parquet. Ce message m’intrigue. J’enquête. La concierge m’explique qu’un couple s’était installé ici. Anna et Pierre. Mais Pierre décède accidentellement et Anna vit seule dans cet appartement pendant encore 30 ans. Alors ce bout de papier va naturellement attiser mon imagination et devient vite l’élément central d’une nouvelle histoire à mettre en images. L’appartement constitue une capsule temporelle dont il est impossible de sortir et dans laquelle j’imagine la solitude de cette femme et son errance. Je m’allonge souvent sur cette méridienne pour réfléchir et travailler. J’imagine Pierre qui disparaît après avoir laissé ce mot. J’imagine Anna dans son bain, qui ne trouvera jamais ce papier, qui ne rejoindra jamais Pierre sur cette terrasse, et le temps qui passe inéluctablement sur le corps de cette femme…

On me raconte qu’elle était peintre, mélancolique, taciturne. Ses modèles posaient toujours sur cette méridienne, et Anna s’y installait aussi très souvent en se perdant dans ses pensées. Une identification s’opère entre elle et moi. J’ai l’impression que nous nous ressemblons. Je deviens la Anna d’avant, et je réalise une série d’« autoportraits partagés » avec celle qui représente Anna telle que je l’imagine 30 ans plus tard. Métaphore de la vie, cette mise en scène est un prétexte parfait pour traiter mes sujets de prédilection : la femme, l’enfermement, la solitude, la vieillesse, la mort, le souvenir, le vide. “

Soi-même et ses doubles

À première vue, la série Anna de Dominique Wildermann évoque, dans le prolongement d’une inspiration qui remonte aux Regrets de la vieille Heaulmière de François Villon, la splendeur radieuse et l’obscure clarté des deux âges de la beauté féminine. Mais cette opposition lisible sur les corps de deux femmes relate en fait l’histoire d’un destin, celui d’Anna, l’ancienne locataire de l’appartement où réside la photographe depuis quelques années.

Lorsqu’elle prend possession de sa nouvelle habitation, Dominique Wildermann relève certains détails qui rappellent la présence de celle qui l’a précédée : une méridienne qui n’a pas été déménagée, des marques de décoloration sur les murs qui avaient dû supporter de nombreux tableaux et surtout une feuille de papier pliée, coincée sous le parquet sur laquelle il est écrit :

Anna ma chérie,
J’espère que ton bain fut bon,
viens vite nous rejoindre sur la terrasse du « toboggan », tu me manques.
Je t’aime
Pierre

Après enquête auprès du voisinage, il ressort que Pierre, l’auteur de ce petit mot d’amour, est mort accidentellement sans jamais avoir pu rejoindre Anna qui vécut seule dans cet appartement pendant trente ans. Cette révélation bouleversante provoque une lecture nouvelle des traces du passage d’Anna qui deviennent les signes d’une histoire de vie.

Se sentant étrangement proche, et peut-être pour conjurer un sort si triste enfermé dans ce lieu, Dominique Wildermann définit un projet photographique et entreprend la portraiture de cette inconnue. Tout d’abord, elle réalise des prises de vue des pièces vides montrant les empreintes laissées sur les murs par une accumulation de cadres qui enserraient tous les souvenirs de la vieille dame. Puis elle interprète elle-même le personnage d’Anna jeune en jumelant sa présence avec celle d’un modèle de trente ans son aînée.

Cette différence d’âge mesure la durée d’une solitude, d’une tranche de vie dont les deux actrices répètent les actions quotidiennes. Derrière la fenêtre, la jeune Anna jette un regard rêveur au dehors, tandis que l’autre, le visage tourmenté par l’interminable attente, tourne le sien vers l’intérieur. Elles posent l’une après l’autre allongées sur la méridienne dont Anna, qui était une artiste, se servait pour installer ses modèles ou pour se reposer. Elles fument une cigarette côte à côte, se fardent en même temps devant un miroir, se retrouvent vis-à-vis dans la baignoire et, dans chacune des scènes où elles apparaissent ensemble, il semble que le temps a figé les attitudes jusqu’à transformer cet espace de vie en un abri de répétitions.

Il n’est pas une image de cette série où le jeu d’acteurs des deux Anna apparaît forcé. Leur proximité dans les scènes du bain ou du maquillage, la ressemblance de leur pose quand elles s’allongent sur la méridienne ou celle de leurs gestes dans la scène du dénudement, leur prête un air de famille qui reflète les deux âges d’une même vie.

La série Anna est la mise en scène de ce qui aurait pu devenir une hantise pour la nouvelle occupante de cet appartement. Mais le portrait d’Anna, l’absente, exorcise toute possibilité d’envoûtement : il est fondé sur un enchainement de dédoublements : le personnage principal est incarné par un duo de figurantes et Dominique Wildermann, habitée par cette histoire, se dédouble à son tour dans une série étonnante qui devient son autofiction.

Robert PUJADE

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Manifestation associée :

à l’ Enssib  :
Nobody knows
 – Photographies de Dominique Wildermann

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