Marie BIENAIME & Sandrine LAROCHE – Le chemin effacé

du 4 décembre 2018 au 11 janvier 2019

Vernissage en présence des artistes mardi 4 décembre à 18h30 

Le chemin n’est ni le départ ni l’arrivée, il est l’entre-deux. Dans le temps ou l’espace il peut se suivre ou se quitter, on peut s’y arrêter, en voir la fin ou non. Il se parcourt, s’arpente, se choisit et se dévoile petit à petit, il se fait, se montre, se poursuit, se trouve ou se cherche. Il peut être modifié, parsemé d’obstacles, ou au contraire réserver de jolies surprises, nous étonner ou nous émerveiller…

… Les petites choses du quotidien, la valse du vent dans un champ, un arbre majestueusement chauve, la lumière entrant par la fenêtre, l’innocence de l’enfance, la beauté de la ville. C’est ce que vous propose “Le chemin effacé”, une déambulation mélancolique, un état d’esprit quelque peu introspectif, une flânerie contemplative et sensuelle. La technique cyanotypique utilisée ici ajoute encore un peu de nostalgie et d’atemporalité à cette série à quatre mains (et quatre yeux).Le monde enchanté, © Marie Bienaimé et Sandrine Laroche

Rhapsodies en Bleu

Quand le bleu envahit les ombres, la photographie n’est plus seulement une image, elle devient une surface d’imprégnation assez semblable à ces papiers bruts qui boivent plus d’encre que n’en réclame l’écriture. Les photographes qui pratiquent la cyanotypie le savent bien et font souvent déborder leurs épreuves au-delà des
limites carrées ou rectangulaires de leurs négatifs. Recourir à ce procédé, plutôt rare dans l’histoire, permet de libérer la photographie du rapport strict à la réalité qui est prétendument l’apanage du noir et blanc et de la couleur.

Sous un titre énigmatique, Le Chemin effacé, Sandrine Laroche et Marie Bienaimé exposent ensemble des extraits de leur univers photographique révisé par le cyanotype. L’atmosphère de nostalgie qui règne dans leurs images, avivée par l’impression bleue, justifierait à elle seule le rapprochement de leur regard. Mais au delà de cette tonalité chromatique, on perçoit bien vite chez l’une et l’autre photographe une intention narrative comparable qui est de parcourir le chemin qui conduit au pays de l’enfance. Tel est le chemin effacé, peu praticable mentalement – même dans le silence où se complaît l’introspection – qui trouve avec la photographie un espace manifeste.

Les oeuvres exposées nous montrent l’abord de ce parcours insolite selon les choix
photographiques propres à chaque auteure. Dans ces parcours, on découvre en premier lieu les bribes d’un monde ancien où plus personne n’habite comme la maison des grands-parents au mobilier vétuste
et au design oublié : un ciel de lampe dont l’étoffe florale est encerclée de franges, des têtes de lit capitonnées aux formes baroques ou tapissées de velours, une échelle de bois brut descendant au cellier, les craquelures d’un portrait d’ancêtre rapiécées dans une mandorle. Ces intérieurs aux murs tendus de courtines ou de tapisseries délavées sont les préambules illustrés d’histoires qui se passent à l’extérieur et qui nous invitent à voir ce qu’il était une fois….

La méthode des photographes change dès lors que se mettent en place les épisodes choisis de la vie enfantine. Marie Bienaimé procède par flashs de souvenirs. Elle saisit les enfants en situation : l’arrêt de l’image sur une petite fille sautant par-dessus les meubles d’une maison de poupée ou un grand écart en plein vol, dans une salle aux murs surdimensionnés, donne une tournure onirique à l’insouciance enfantine.
La place de l’enfant dans le monde qui l’entoure prend des proportions qui l’instaure comme maître d’un monde qu’il découvre : un plan rapproché sur la face ronde avec des yeux tout ronds du nourrisson attentif sur son lit de change, le plan plus large du gamin qui joue au bord de mer à tapoter l’eau pour contempler les cercles concentriques dont il est le centre.

Sandrine Laroche se tient à hauteur de vue des enfants, le plus souvent au sortir de l’ombre pour révéler un monde fantastique, disproportionné lui aussi ; vues en contreplongée, les tiges d’ombellifères sont à la fois graciles et magiques ; en contrejour, un arbre dangereusement penché symbolise à lui seul toute la parenté en menace d’écroulement ; à travers des fenêtres fermées une bicyclette et une trottinette
suspendues apparaissent comme des objets identifiés au monde de Peter Pan. Tout ce qui fait naturellement peur aux adultes, la nuit, les futaies obscures et touffues, les odieux présages qu’inspire la vue de la hulotte ou d’un grand-duc, participe d’une chaleureuse intimité enfouie comme des secrets de jeune fille au plus profond des songes.

Ces heureuses différences entre les deux photographes ne modifient rien à leur principe de cheminement photographique qui reste le même dans les deux cas : une discontinuité de détails, de paysages et de portraits qui composent une rhapsodie dont la trempe du bleu cyan assure une connexion mélodieuse. Sandrine Laroche et Marie Bienaimé réussissent à créer ensemble une archéologie de points de vue fascinés qui
défilent sous nos yeux comme une rêverie surgie des souvenirs.

Robert PUJADE

Marie Bienaimé https://www.mariebienaime.fr
Sandrine Larochehttp://sandrinelaroche.art.free.fr