Sandrine Laroche, Éric Le Roux, Pascal Michalon, Christian Poncet, Marie Noëlle Taine – CAMPUS

du 3 mars au 24 avril 2020

Vernissage en présence des artistes mardi 3 mars à 18h30

Christian Poncet

” La visite photographique d’un complexe universitaire doit nécessairement composer avec l’import péjoratif du terme « campus » lié au phénomène historique et social du « camp ». Même si la désinence « us » en relève le sens par allusion à la culture latine et par référence aux facultés américaines, il reste que les lieux qu’on appelle de ce nom sont des espaces d’enfermement, proches à certains égards des centres de détention ou de santé publique. Une même absence d’horizon unique favorise la multi-location de territoires aux superficies variables qui, pourtant, se ressemblent tous.

À l’encontre de ces évocations de monotonie et de sévérité architecturale auxquelles le mot seul fait penser, cinq photographes ont entrepris de rassembler dans une même exposition leur expérience visuelle du Campus de La Doua à Villeurbanne, prouvant par là-même que la pluralité des points de vue révélait une diversité esthétique tout à fait surprenante. Avec un style propre qui tient à leur pratique du paysage urbain ou naturel ou encore à leur technique particulière ils sont parvenus à montrer les aspects insoupçonnés de cet univers de béton que nous ne saurions voir…


____________________________________________________________________________ Marie Noëlle Taine

Marie Noëlle Taine


Les images de Marie-Noëlle Taine proviennent d’une délicate attention à la variété des couleurs. Les façades des grands bâtiments aux multiples fenêtres en nids d’abeilles présentent une large échelle de gris relevée par la verdure jaunâtre des pelouses ou, dans un plan rapproché, par le reflet d’une vitre qui ouvre sur un ciel bleu. Des préfabriqués auxquels on ne prêterait aucun regard sont cadrés de telle sorte qu’ils deviennent le support d’un bel assortiment de bleu, de rouge et de blanc. La couleur semble la préoccupation essentielle de ces prises de vue et, dans les variations d’une même tonalité, c’est elle qui délimite les formes géométriques.


Éric Le Roux_____________________________________________________________________________________

Eric Le Roux

Éric Le Roux s’intéresse plus particulièrement aux couleurs naturelles, comme si le campus de son reportage émergeait en pleine nature. D’immenses gerbes d’herbe folles couvrent la vue des édifices rectilignes, un tronc d’arbre impressionnant, situé au premier plan d’une vue sur le bâti, impose l’entrelacs de ses écorces au parallélisme architectural. Cependant, la rigueur géométrique de la structure du campus donne au photographe l’occasion de réaliser un magnifique panoramique versaillais par référence aux multiples peintures et photographies des perspective du château de Versailles. Cette analogie, permise à cause de la puissance de l’objectif photographique, interroge le spectateur sur l’origine réelle ou visuelle de la beauté ainsi saisie.

_______________________________________________________________________________Sandrine Laroche

Sandrine Laroche

Avec les photographies prises la nuit par Sandrine Laroche, le campus revêt une identité insolite. Il devient un théâtre nocturne où la lumière surgie des lampadaires se mue en feux de la rampe, découvrant dans l’obscurité des traces de couleurs bleue, jaune ou rouge. L’ombre de personnages au milieu des allées manifeste une présence de vie dans ces quasi-ténèbres couvertes de brouillard. L’art de la photographe consiste à privilégier de vagues nitescences qui permettent des contrejours lunaires où se découpent des arbres en ombre chinoise, qui montrent l’ossature des immeubles à partir de leur éclairage intérieur. Les quelques lueurs qui scintillent encore aux fenêtres paraissent accrochées au quadrillage des façades, comme des notes de musique pour une partition dans la nuit.

Christian Poncet_________________________________________________________________________________

Christian Poncet

La technique du sténopé, que Christian Poncet maîtrise de façon magistrale, transforme le campus en un monde étrange, comme issu des rêves ou de la science-fiction. Le temps de pose très important nécessaire à la prise de vue produit des effets perturbant la fidélité de l’image et il se dégage ainsi une atmosphère ouateuse qui rend la réalité des lieux incertaine et la fiction crédible. Dans chaque image une apparence humaine donne la mesure de l’immensité des murailles que sont devenues les buildings de La Doua. La parenté de ces photographies avec l’image mentale des souvenirs oniriques nous plonge dans une illusion de déjà-vu, lointaine bien que familière, étrange parce que reconnaissable. Le campus serait alors une figure contemporaine de Metropolis.

_______________________________________________________________________________ Pascal Michalon

Pascal Michalon

Jouant avec les perspectives architecturales, Pascal Michalon parvient à créer les lignes de force qui propulsent le regard au-delà du réel. Il déniche un contrefort de béton de forme pyramidale qu’il cadre de manière à le rendre semblable à un autel sacrificiel Maya. Son regard déréalise l’univers terne et maussade des allées avec des plans presque entièrement consacrés aux tonalités rose balais ou rose fandango du béton asphaltique qui recouvre des pistes. Les perspectives fonctionnelles sont déviées de leur finalité administrative pour découvrir le beau désordre clair d’un rêve en images. Des poteaux de toute sorte, des panneaux signalétiques s’interposent en gros plans au milieu des aires de circulation ; certains sont penchés, d’autres renversés, et le campus ressemble alors à ce musée en plein air des motels désaffectés de Las Vegas.

Pascal Michalon


Comme tous les autres photographes de cette exposition, Pascal Michalon transfigure la complexité monotone de ces bâtiments universitaires. Dans ses dernières images inspirées par La Doua, il est allé jusqu’à insérer des images de paysages naturels provenues d’autres contrées. L’une d’entre elles est particulièrement attirante : le mur de fond d’un long corridor est remplacé par un paysage arboré dominant une mer calme. Par une étrange coïncidence, la mer calme que Vénus obtient pour Énée, celle qui lui permettra de cingler aisément jusqu’au rivage attendu prend exceptionnellement le nom de « campus » dans l’Énéide de Virgile. “


Texte : Robert Pujade