Julien MINARD – Vanités

du 4 décembre 2018 au 11 janvier 2019

Ecole Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques – enssib
17-21 bd du 11 novembre 1918 – 69100 Villeurbanne

Vernissage en présence de l’artiste mardi 4 décembre à 18h00

La série des Vanités est une errance photographique prenant pour sujet les animaux empaillés qu’un Maharajah indien collectionna jadis dans son palais aujourd’hui déserté, dans la petite ville de Bhuj.
Ce palais, le Prag Mahal, en partie détruit par un tremblement de terre en 2001, est constellé
de ces trophées de chasse que les années, l’humidité, les vents et les pigeons ont
transformés en étonnants fossiles.
Tout respire la fin d’un règne, d’une époque et de ses habitudes.
Ce qui un jour témoigna de la gloire et de l’opulence d’un souverain est désormais laissé en l’état, formant un petit musée privé, en proie à la lente et inévitable destruction. Les images proposent une méditation sur le temps qui passe, à la manière des vanités de la peinture européenne du XVIIe siècle. Ces tableaux de genre, extensions imagées de la pensée chrétienne dans l’art, rappelaient aux vivants la vanité de ce que l’on accumule au cours d’une vie : richesses, savoirs, honneurs et qui ne seront d’aucune aide spirituelle une fois accompli le grand passage – la mort.
Par des jeux de cadrages, de lumières, de profondeur de champ, la photographie révèle les signes de la déliquescence : écorchures, moisissures et délabrement des chairs que la taxidermie n’aura réussi à ralentir qu’un court moment. Ces images n’entretiennent pas un rapport documentaire à leur sujet mais évoquent plutôt un univers fantasmagorique
peuplé de créatures étranges, caractérisées par un paradoxe : si la taxidermie vise à donner l’illusion de la vie malgré la mort (redonner à l’animal son animation),
ce faux-semblant s’estompe au profit des marques du temps.

Julien Minard

Vanités de Julien MINARD

Prag Mahal… Malgré la magie des mots, c’est dans un palais délabré que nous fait pénétrer Julien MINARD.  À en suivre les couloirs, nous pourrions nous croire en Italie. Mais c’est de l’Inde dont il s’agit ; nous sommes à à Bhuj, petite ville du Gujarat, dans le nord-ouest du pays.
Jadis, il y a longtemps peut-être – au XIX° siècle en réalité – un maharajah y rassembla une collection d’animaux empaillés et de trophées. Comme aurait pu le faire, en Europe, un quelconque gentleman ou un riche propriétaire. Influence britannique, universalité du désir d’exposer les trophées de chasse et d’exhiber ainsi la fortune et la toute puissance du chasseur ?
Peu importe. Ce qui nous retient en ce palais, en ces clichés du moins, c’est le même sentiment, la même émotion que celle que l’on ressent devant ces tableaux de nature morte, qui nous présentent des scènes de chasse ou de cuisine, où l’essentiel n’est pas la fortune du chasseur ou le talent du cuisinier mais la réflexion sur la mort, à laquelle nous invite le peintre. Il y a comme une parenté entre ce singe accroupi que nous montre Julien MINARD et telle perdrix prise dans un collet ou tel lièvre suspendu au mur de la cuisine peints par CHARDIN. Ou cette lionne toute puissante encore de sa gueule entrouverte et éclairée par deux fenêtres en ogive dont les reflets sur la vitre de sa cage sont comme deux bougies déposées au côté de la morte.
Les uns et les autres ne sont rien d’autre que des vanités, comme on en trouve dans les villas pompéiennes, au revers des retables des églises médiévales et dans toute la peinture européenne depuis le XVI° siècle.  Toutes nous rappellent que la vie ne dure pas et que, face à l’instant de la mort, vaines sont les richesses matérielles accumulées. Et toutes nous invitent à nous en détacher de notre vivant ou à savoir en profiter (carpe diem nous disent celles des villas romaines).
Comme toute vanité, ces animaux et ces trophées sont là, en ce palais délabré, exposés en cet instant où le cours du temps semble à jamais suspendu, en cet instant où le talent du taxidermiste ou du peintre a su les saisir, pour qu’à jamais peut-être ils semblent encore vivants, malgré la mort. Et Julien MINARD sait en jouer, quand il confronte une tête d’hippopotame, caressée par ce qui doit être une tenture roulée dont on se demande bien comment elle peut ne pas retomber, et le gardien du palais à la pose hiératique et figée dans la même immobilité que celle de l’animal.
Mais tout aussi vaine aura été la prétention du taxidermiste à l’immortalité de son œuvre. Les peaux se délitent, la poussière est partout, certains des animaux semblent disparaître derrière le rideau des toiles d’araignée… Les marques du temps viennent redoubler l’effet de vanité et déréaliser, plus encore s’il est possible, cette improbable collection. Et nous sommes alors gagnés par l’inquiétante étrangeté de ce spectacle hors du temps et de toute inscription dans un lieu, mais qui nous semble malgré tout familier.
La même étrangeté que l’on ressent au sein d’un cabinet de curiosité, réunissant, de la façon la plus hétéroclite et la plus improbable qui soit, minéraux, coquillages, animaux empaillés, objets d’art et objets manufacturés… Le cabinet de curiosité rassemble tous ces objets, sans lieu et hors du temps, pour les classer dans des armoires, des tiroirs, selon des catégories totalisantes, les nommer aussi et donc les ranger dans des catalogues et des lexiques.  Désir de totalité, l’esprit de curiosité est volonté de réunir macrocosme et microcosme, de reconstruire par la collection, jamais achevée, l’unité du monde et ainsi de le recréer là sous la main, mais surtout sous le regard du collectionneur. Ce désir de recréation, c’est aussi la recherche de la merveille (mirabilia), c’est à dire de l’association des naturalia et artificialia, de la recherche de cette nature artificielle, que permet de générer la continuité entre le génie créateur de la nature et celui de l’artiste, jusqu’au mirobolant (c’est à dire au trop beau pour être vrai).
Il y a, me semble-t-il, de cela dans le Praj Mahal. Il y a, j’en suis sûr, de cela dans le splendide travail que nous propose Julien MINARD.

Lyon, le 24 février 2012
Régis BERNARD

Données techniques :
Tirages couleurs 100x100cm contrecollés sur dibond,
Tirages Noir et Blanc réalisés par l’auteur en utilisant le procédé du ziatype
(fin des années 1880 ; mis au point par Pizzighelli.
Source : Christopher James, The book of alternative photographic process)
à partir de négatifs imprimés.
Tonalités variables entre chaude et très chaude.
Format 20x20cm, 26x26cm et 31x31cmsur papier Arches Platine.
Prises de vues : été 2009, Bhuj, Inde

 

Julien Minard : http://julienminard.com/