Du 16 mars au 24 avril 2015
Galerie DOMUS
Rencontre avec l’artiste le mercredi 8 avril à 12h45
Le projet Loulan Beauty de Claudine Doury prolonge l’approche documentaire qu’elle a menée dans l’ancienne Union Soviétique, particulièrement en Sibérie et en Ukraine. Le nom d’emprunt de cette série photographique fait tout d’abord référence à un ancien royaume situé aux confins de l’Asie Centrale et de la Chine, dans l’actuelle province de Xinjiang, mais aussi au surnom donné à l’une des quelques deux cents momies découvertes en parfait état de conservation dans cette région à la fin du 20ème siècle.
Loulan Beauty est une femme aux cheveux longs, aux pommettes saillantes et au nez proéminent, ce qui ne lui confère pas les caractéristiques physiques du type chinois et, pour ces raisons elle est l’innocente responsable de disputes contemporaines, historico-politiques, destinées à répondre à la question : quels furent les premiers habitants de ces contrées inhospitalières de la Chine de l’Ouest ?
Plus de quatre mille années séparent le reportage photographique de cette découverte archéologique et le titre choisi par Claudine Doury est un repère temporel qui mesure l’étendue de son observation : dans une visée diachronique, la photographe part à la recherche des ethnies multiples qui se sont succédées au cours des millénaires et qui ont laissé leur empreinte dans la culture d’aujourd’hui.
Loulan Beauty représente aussi le symbole qui illustre la démarche documentaire de Claudine Doury, et de son point de vue féminin dans le reportage qui se remarque sur le plan méthodologique, tout d’abord : la photographe ne se contente pas d’une simple visite auprès des habitants du Kazakhstan ou de l’Ouzbékistan, elle partage la vie quotidienne des communautés féminines qu’elle fréquente sur le long terme. Les prises de vue sont l’aboutissement d’un apprentissage sur le terrain des modes de vie et du travail des personnes qu’elle côtoie. Sur le plan des sujets photographiés, on remarque une attention particulière portée à la condition féminine : on peut voir, en effet, de jeunes femmes appliquées à la confection de vêtements poursuivant des usages ancestraux. Et, dans le fil narratif de son parcours, des portraits de petites filles en tenue d’écolière ou d’adolescentes pensives sont pris de manière frontale et constituent des moments de recueillement ou de réflexion dans l’histoire de la condition féminine.
La forme narrative de cette approche documentaire tient aussi au fait que le passé semble toujours persistant dans le présent photographié. On remarque les effets miroirs produits par des images dans l’image : La Famille de Silkhon, par exemple, représente un mur recouvert de photographies de différentes époques, ou la petite Madina qui pose en un plan rapproché tenant dans ses mains un portrait de sa mère. Mais pour Claudine Doury, les couleurs et la lumière qu’elle recueille de façon très personnalisée permettent une retranscription poétique de la vie qui semble défier le temps : couleurs parfois crayeuses comme dans certaines vues en technicolor d’autrefois ou fortement contrastées quand dans une même photo le registre pastel s’allie aux tonalités les plus vives.
Dans Loulan Beauty la photographie accompagne bien un périple géographique – le voyage qu’effectue la photographe en Asie Centrale – mais elle se lance à travers tous les moyens qui lui sont propres dans une traversée du temps. Les paysages qui jalonnent cette série ne sont pas seulement le décor contextuel des histoires de vies mais des espaces en mutations, comme la mer d’Aral devenue désertique ou ces minarets qui surplombent le déluge de sable écoulé dans ces terres depuis des siècles.
Le projet photographique de Claudine Doury intervient lui-même dans une période de transformation liée à la chute de l’Empire soviétique qui favorise les retours à la tradition. Ces changements politiques récents inspirent à la photographe une géo-poétique, un conte d’images où les souvenirs archaïques affleurent au présent pour construire le rêve d’un avenir incertain.
Robert Pujade